Comme certains articles de presse l’ont relaté, un nouveau règlement de la Commission européenne n° 2022/720 définissant les conditions de compatibilité des accords de distribution avec les règles de concurrence communautaire a en effet été publié ce 11 mai 2022.

Il fait actuellement l'objet d'une analyse attentive de nos équipes, avec le soutien de conseils spécialisés.

Ce règlement remplace, à compter du 1er juin 2022, le règlement 330/2010, dit « général » parce qu’applicable à tous les secteurs d’activité dont l’automobile, qui vient à expiration le 31 mai 2022.

Le nouveau règlement entre en vigueur avec une période transitoire d’un an jusqu’au 31 mai 2023 durant laquelle les accords de distribution en cours, qui respectaient les conditions du règlement 330/2010, continuent de bénéficier de la couverture de ce règlement.

Le règlement 2022/720 s’inscrit dans le long terme puisqu’il sera applicable jusqu’au 31 mai 2034.

Il s’accompagne de « Lignes Directrices », qui fournissent des explications complémentaires sur l’interprétation de dispositions du règlement lui-même et sur son champ d’application.

Ces textes sont l’aboutissement d’un long et difficile processus de consultation ouvert par la Commission en 2018, dans le cadre duquel les entreprises, les autorités de concurrence nationales, les organisations professionnelles dont MOBILIANS et, pour le niveau européen, le CECRA, ont pu donner leur avis sur les modifications qu’elles jugeaient souhaitable d’apporter au règlement 330/2010.

Les versions définitives du nouveau règlement et de ses Lignes Directrices reprennent, avec quelques nuances, les points essentiels des projets que la Commission avait publiés en juillet 2021 concernant les accords de distribution (1) et les accords d’agence ou de commission (2).

Certaines questions importantes pour la distribution dans le secteur automobile ne seront toutefois réglées que dans le cadre du futur règlement additionnel spécifique à ce secteur attendu ultérieurement (3).

Depuis les résiliations, parfois brutales, intervenues dans certains réseaux, ces textes étaient particulièrement attendus des acteurs de la distribution automobile.

Leur économie générale comporte des points globalement satisfaisants, en allant dans le sens d'une forme de rééquilibrage des relations entre les constructeurs et leurs réseaux, sans pour autant les sécuriser pleinement dans un contexte où la prévisibilité et la stabilité n'ont jamais été aussi faibles. MOBILIANS se félicite d'avoir été suivi dans certaines de ses préconisations, telles que les plateformes hybrides ou l'architecture de la rémunération des futurs agents.

Mais beaucoup reste à faire et à éclairer pour préserver une solidarité concrète de filière qui est confrontée à des défis particulièrement pressants et hautement difficiles.

Une première analyse technique a été effectuée par Me Christian Bourgeon. Nous aurons naturellement l'occasion d'y revenir, en organisant tout échange et communication avec l'ensemble des groupements de marque, dans le contexte économique très difficile que vous connaissez.

MOBILIANS, qui publiera un communiqué de presse, prendra également tout contact utile pour continuer à faire valoir et à faire progresser l'intérêt général du secteur - que ce soit dans la mise en oeuvre de ce nouveau régime juridique ou dans les consultations en cours sur d'autres textes européens de première importance.

Quels sont les premiers points clefs à retenir ?

 

1.    Les accords de distribution

Les accords de distribution au sens du règlement d’exemption sont des accords entre un fournisseur et un distributeur indépendant, achetant les produits du fournisseur pour les revendre à ses clients au prix qu’il détermine.

Les principaux changements introduits par le nouveau règlement relativement aux conditions d’exemption de ces accords sont liés essentiellement à l’évolution de l’environnement commercial dû au développement des ventes en ligne.

Trois dispositions nouvelles sont importantes pour la distribution automobile.

Double distribution : Il s’agit de la situation dans laquelle un fournisseur/constructeur vend ses produits par l’intermédiaire de distributeurs indépendants, mais aussi directement aux clients finals, en concurrence avec ses distributeurs indépendants.

La Commission avait jusqu’à présent toujours exempté sans aucune limite ces ventes directes en considérant qu’elles n’avaient pas d’effet négatif sur la concurrence. MOBILIANS et le CECRA ont demandé dans le cadre du processus de consultation que des limites soient fixées au développement potentiel des ventes directes, compte tenu notamment des effets d’alignement tarifaire que pourrait avoir le développement de telles ventes à prix net sur internet par les constructeurs, aggravés par les échanges d’informations stratégiques entre constructeurs et distributeurs, notamment au travers de la remontée de données concernant la gestion des distributeurs ou leurs clients, souvent imposée aux distributeurs par les constructeurs.

Le projet de règlement publié en juillet 2021 prévoyait de n’exempter les échanges d’informations en cas de double distribution que si la part de marché cumulée d’un constructeur et d’un distributeur n’excédait pas 10 % sur chaque marché local de la vente au détail. Ce dispositif aurait impliqué des calculs multiples et complexes de parts de marché ; il n’est pas repris dans le règlement définitif. Toutefois, en cas de double distribution, les échanges d’informations entre le fournisseur et le distributeur ne sont exemptés que « lorsque l’échange d’informations est à la fois directement lié à la mise en œuvre de l’accord vertical et nécessaire pour améliorer la production ou la distribution des biens ou services contractuels » (considérant 13 et article 2.5 du règlement).

Les Lignes Directrices (section 4.4.3) précisent notamment que peuvent être considérés comme :

- liés à la nature d’un accord de distribution sélective les échanges d’informations permettant au fournisseur de vérifier que le distributeur respecte les critères de sélectivité et les interdictions de vendre à des distributeurs non agréés (point 98),

- nécessaires pour améliorer la distribution des biens ou services, des informations ne portant pas, sauf exception, sur des clients identifiés (point 100.b).

Double prix et principe d’équivalence : Jusqu’à présent, étaient considérées comme des restrictions de concurrence prohibées le fait pour un fournisseur/constructeur :

- d’appliquer à un distributeur un prix de gros plus élevé pour les produits destinés à être vendus en ligne que pour les produits vendus hors ligne,

- d’imposer pour les ventes en ligne des critères non équivalents à ceux imposés pour les ventes à partir de sites physiques. La Commission considère que compte tenu du niveau de développement atteint par les ventes en ligne, ces interdictions ne se justifient plus.

L’exemption du double prix reste toutefois soumise à la double condition que :

- la différenciation du prix de gros soit justifiée au regard du niveau des investissements requis pour vendre respectivement en ligne ou hors ligne,

- la différence de prix ne compromette pas la profitabilité ou la viabilité des ventes en ligne (Lignes Directrices, point 209),

Des prix de gros qui, soit ne permettraient pas de rémunérer correctement les investissements réalisés dans les sites physiques, soit remettraient en cause la rentabilité des ventes en ligne ne seraient donc pas exemptés.

Du fait de l’abandon du principe d’équivalence, les fournisseurs/constructeurs disposent d’une assez grande liberté pour définir les critères à respecter pour les ventes en ligne. Toutefois, ces critères ne doivent en aucun cas remettre en cause la liberté des distributeurs d’avoir leur propre site de vente en ligne et de faire de la publicité en ligne (Lignes Directrices, point 208).

Plateformes hybrides. L’article 2.6 du nouveau règlement précise que les fournisseurs de services d’intermédiation en ligne, qui vendent des biens ou des services en concurrence avec les entreprises auxquelles ils proposent leurs services d’intermédiation, ne bénéficient pas de l’exemption.

La note explicative du règlement précise que cette disposition est cohérente avec le Digital Market Act sur lequel la Commission, le Parlement Européen et les Etats Membres sont parvenus à un accord politique le 24 mars 2022, qui vise à encadrer l’activité des plateformes des GAFA (type Amazon), disposant d’un pouvoir de marché trop important pour bénéficier de l’exemption.

Toutefois, l’article 2.6 du règlement n’est pas limité aux plateformes des GAFA et peut également s’appliquer aux plateformes d’autres fournisseurs, tels que les constructeurs automobiles qui entendent constituer des « écosystèmes » autour de sites propres sur lesquels seront proposés non seulement les véhicules neufs, mais également les véhicules d’occasion, les financements et les services de mobilité.

Pour organiser ces « écosystèmes », les constructeurs entendent s’appuyer notamment sur les données personnelles des clients et des informations commerciales stratégiques collectées par leur réseau. Rien ne justifie ce mélange des genres. Tous les constructeurs ont aujourd’hui leur propre site internet. Un site central commun à un réseau permet certes d’améliorer la visibilité d’une marque, mais il n’est pas nécessaire qu’il soit maîtrisé par le fournisseur ; la gestion de plateformes communes à un réseau par un tiers de confiance étant parfaitement possible.

Enfin, le nouveau règlement maintient à son article 4.a) l’interdiction de l’imposition d’un prix de revente au détail par un fournisseur à ses distributeurs ; interdiction entendue largement, applicable à toute restriction de la capacité du distributeur de déterminer librement ses prix. Les Lignes Directrices précisent à ce sujet qu’une telle restriction peut découler de moyens directs ou indirects (point 187).
 

2.    Les contrats d’agence ou de commission

De nombreux fournisseurs/constructeurs automobiles envisagent de proposer de tels contrats à l’avenir, au lieu des contrats de distribution sélective jusqu’à présent en usage pour la vente des véhicules neufs. L’une des principales raisons qui poussent les constructeurs à vouloir recourir à de tels contrats est la volonté de maîtriser le prix de vente au détail des véhicules neufs pour pratiquer une politique de prix net, en mettant fin à la concurrence intramarque entre distributeurs et aux remises accordées aux clients.

Les contrats d’agence (facturation directe du client par le constructeur) ou de commission (facturation du client par le commissionnaire mais pour le compte et au prix indiqué par le constructeur) permettent d’échapper à l’interdiction du prix de revente au détail imposé, mais à la condition stricte que l’agent ou le commissionnaire ne soit plus un intervenant indépendant assumant les risques de son activité, mais un simple «auxiliaire» du fournisseur/constructeur pour la commercialisation des véhicules neufs, ne supportant aucun « risque financier ou commercial » à ce titre.

Les Lignes Directrices (points 29 à 45) apportent d’importantes précisions sur trois séries de points.

Nature des risques à assumer ou compenser par le fournisseur.

Il s’agit :

- non seulement des risques relatifs aux contrats de vente conclus pour le compte du fournisseur par l’agent ou le commissionnaire (financement des stocks, risque des impayés notamment) ;

- mais également de tous les risques relatifs aux « investissements propres au marché » ; c’est-à-dire non seulement les investissements spécifiques à une marque (publicité ; formation des vendeurs ; aménagement des locaux à l’image de la marque), mais de tous les investissements nécessaires à la commercialisation des véhicules neufs (y compris les coûts immobiliers correspondant aux surfaces affectées à leur stockage et à leur exposition).

Les constructeurs qui opteront pour ce type de contrat devront donc faire un comparatif entre les avantages qu’ils peuvent retirer de la maîtrise du prix de vente au détail de leurs véhicules et les charges à assumer.

Modalités de prise en charge des coûts et risques financiers et commerciaux. Si les constructeurs peuvent utiliser différentes méthodes pour rembourser à un agent ou commissionnaire les coûts qui leur incombent, la méthode utilisée doit toujours distinguer clairement les montants destinés à couvrir ces coûts et les commissions dues à l’agent ou au commissionnaire en rémunération de ses services d’intermédiation (Lignes Directrices, point 35).

Utilisation d’un mode de distribution mixte. Un fournisseur/constructeur peut opter pour un système de distribution en achat revente pour une partie des véhicules neufs de ses gammes et pour un système d’agence ou de commission pour une autre partie.

Dans ce cas toutefois, tous les investissements affectés aux véhicules neufs distribués en agence ou commission doivent être compensés par le fournisseur constructeur, même s’ils ont été engagés par le distributeur dans le cadre de son activité d’achat/revente, dès lors qu’ils ne sont pas amortis à la date de mise en place du système d’agence ou de commission.

Ces deux dernières précisions ont été intégrées dans la version définitive des Lignes Directrices à la suite des observations formulées par MOBILIANS et le CECRA sur ces points.
 

3.    Questions spécifiques au secteur automobile qui seront réglées par un règlement additionnel

Comme elle l’avait fait en 2010, la Commission a prévu de publier un règlement d’exemption, complémentaire du règlement « général » pour traiter certaines questions spécifiques aux accords de distribution du secteur automobile.

Le règlement spécifique actuel, 461/2010, ne vient à expiration qu’au 31 mai 2023.

La Commission dispose donc d’un délai supplémentaire pour arrêter un futur règlement, dont un projet doit être publié courant juin 2022.

Devront notamment être réglées par ce futur règlement spécifique les deux questions suivantes :

- le maintien ou non de l’exemption des systèmes de distribution sélective quantitative (autorisant les constructeurs à contrôler – numérus clausus – et la localisation de leur distributeur) à 40 % de part de marché, tolérée pour la distribution des véhicules neufs, au lieu du seuil d’exemption général de 30 %,

- la mise en place de dispositions garantissant la possibilité d’être réparateur agréé «seul» ; notamment pour les distributeurs ayant vu leur contrat résilié au titre de la vente des véhicules neufs. La règle selon laquelle un opérateur, qui continue de répondre aux critères purement qualitatifs requis pour être réparateur, doit pouvoir bénéficier d’un nouvel agrément si son précédent contrat a été résilié sans qu’il ait commis de faute, a en effet été contestée par différentes juridictions nationales au nom de la liberté contractuelle.

Souhaitant que cette première note vous permette d'éclairer votre appréciation,

Très cordialement,

Xavier Horent, Délégué Général / PO. Francis Bartholomé, Président national